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法語(yǔ)閱讀:追憶似水年華68

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來(lái)源:網(wǎng)絡(luò) 2020-08-07 02:48 編輯: 歐風(fēng)網(wǎng)校 241

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摘要: 法語(yǔ)閱讀:追憶似水年華68

Et ce n'est pas seulement à l'égard de Swann que Gilberte consommait peu à peu l' uvre de l'oubli, elle avait haté en moi cette uvre de l'oubli à l'égard d'Albertine.



Sous l'action du désir, par conséquent du désir de bonheur que Gilberte avait excité en moi pendant les quelques heures où je l'avais crue une autre, un certain nombre de souffrances, de préoccupations douloureuses, lesquelles il y a peu de temps encore obsédaient ma pensée, s'étaient échappées de moi, entra nant avec elles tout un bloc de souvenirs, probablement effrités depuis longtemps et précaires, relatifs à Albertine. Car, si bien des souvenirs, qui étaient reliés à elle, avaient d'abord contribué à maintenir en moi le regret de sa mort, en retour le regret lui-même avait fixé les souvenirs. De sorte que la modification de mon état sentimental, préparée sans doute obscurément jour par jour par les désagrégations continues de l'oubli, mais réalisée brusquement dans son ensemble, me donna cette impression, que je me rappelle avoir éprouvée ce jour-là pour la première fois, du vide, de la suppression en moi de toute une portion de mes associations d'idées, qu'éprouve un homme dont une artère cérébrale depuis longtemps usée s'est rompue et chez lequel toute une partie de la mémoire est abolie ou paralysée.

La disparition de ma souffrance, et de tout ce qu'elle emmenait avec elle, me laissait diminué comme souvent la guérison d'une maladie qui tenait dans notre vie une grande place. Sans doute c'est parce que les souvenirs ne restent pas toujours vrais que l'amour n'est pas éternel, et parce que la vie est faite du perpétuel renouvellement des cellules. Mais ce renouvellement, pour les souvenirs, est tout de même retardé par l'attention qui arrête et fixe un moment qui doit changer. Et puisqu'il en est du chagrin comme du désir des femmes, qu'on grandit en y pensant, avoir beaucoup à faire rendrait plus facile, aussi bien que la chasteté, l'oubli.

Par une autre réaction (bien que ce f t la distraction – le désir de Mlle d'éporcheville – qui m'e t rendu tout d'un coup l'oubli apparent et sensible), s'il reste que c'est le temps qui amène progressivement l'oubli, l'oubli n'est pas sans altérer profondément la notion du temps. Il y a des erreurs optiques dans le temps comme il y en a dans l'espace. La persistance en moi d'une velléité ancienne de travailler, de réparer le temps perdu, de changer de vie, ou plut t de commencer de vivre, me donnait l'illusion que j'étais toujours aussi jeune ; pourtant le souvenir de tous les événements qui s'étaient succédé dans ma vie (et aussi de ceux qui s'étaient succédé dans mon c ur, car, lorsqu'on a beaucoup changé, on est induit à supposer qu'on a plus longtemps vécu), au cours de ces derniers mois de l'existence d'Albertine, me les avait fait para tre beaucoup plus longs qu'une année, et maintenant cet oubli de tant de choses, me séparant, par des espaces vides, d'événements tout récents qu'ils me faisaient para tre anciens, puisque j'avais eu ce qu'on appelle le temps de les oublier, par son interpolation fragmentée, irrégulière, au milieu de ma mémoire – comme une brume épaisse sur l'océan, qui supprime les points de repère des choses – détraquait, disloquait mon sentiment des distances dans le temps, là rétrécies, ici distendues, et me faisait me croire tant t beaucoup plus loin, tant t beaucoup plus près des choses que je ne l'étais en réalité. Et comme dans les nouveaux espaces, encore non parcourus, qui s'étendaient devant moi, il n'y aurait pas plus de traces de mon amour pour Albertine qu'il n'y en avait eu, dans les temps perdus que je venais de traverser, de mon amour pour ma grand'mère, ma vie m'apparut – offrant une succession de périodes dans lesquelles, après un certain intervalle, rien de ce qui soutenait la précédente ne subsistait plus dans celle qui la suivait – comme quelque chose de si dépourvu du support d'un moi individuel identique et permanent, quelque chose de si inutile dans l'avenir et de si long dans le passé, que la mort pourrait aussi bien terminer le cours ici ou là sans nullement le conclure, que ces cours d'histoire de France qu'en rhétorique on arrête indifféremment, selon la fantaisie des programmes ou des professeurs, à la Révolution de 1830, à celle de 1848, ou à la fin du second Empire.

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